Ni Noir Ni Blanc, ou Mémoire d’une peau de Williams Sassine

Je suis passée par toutes les émotions : j’ai ri, j’ai eu peur, j’ai été choquée, j’ai ressenti du plaisir, j’ai été triste, j’ai été en colère, j’ai souri.

Entre les pages de ce livre sommeille littéralement de la poudre à canon. A sa manière, chaque paragraphe du récit vient titiller la sensibilité du lecteur. L’émouvoir. Le bouleverser. L’indigner. D’une manière ou d’une autre, on est touché. Il est impossible d’y rester insensible, d’en sortir indifférent.

A plusieurs reprises, j’ai été happée par ce que certains appellent Le ‘Je t’aime, Moi non plus!’. Plus j’avançais dans ma lecture, plus j’ignorais si j’en appréciais sincèrement ou en détestais le contenu. Comme je le disais précédemment, un embrouillamini d’émotions.

Car l’auteur n’y est pas allé par quatre chemins pour exprimer le fond de sa pensée. Les mots sont crus et pénétrants. Les scènes, parfois très sexuelles, sont décrites sans faux-semblants. Les détails, acérés. Quant aux personnages, puis-je me permettre de vous avouer les avoir trouvés tous un peu fous?! Un délice!

Le personnage principal, Milo, est au premier abord détestable. Il a de nombreux vices. Il tue. Il boit. Il frappe et cogne sans remords. Il ne respecte pas les femmes, il préfère les chosifier. C’est un manipulateur qui n’a pas peur de blesser les autres en se servant du tranchant de sa parole. Mais par dessus-tout – et c’est d’ailleurs ce qui vient humaniser sa personnalité bestiale et lubrique – Milo souffre d’un cruel manque d’amour. Il le dit, le répète inlassablement, tout au long de sa narration dans laquelle il nous embarque avec brio.

D’amour vrai et pur Milo a soif. Il le recherche jour et nuit, sans relâche, en chaque être qu’il rencontre. Toutefois, ne nous méprenons pas, il ne s’agit ici ni du grand amour, ni du très mythique coup de foudre. Ce dont Milo rêve, c’est d’un endroit calme et apaisant où il pourrait se reposer et juste être lui-même, sans avoir peur d’être découvert ou mis à nu. C’est ce nid douillet et sûr où il aurait la possibilité de se laisser aller à ressentir le feu qui consume ses entrailles les plus profondes. Ce précieux sentiment de paix et de confiance qui lui ferait enfin croire qu’il est digne d’exister, qu’il n’est pas une brute comme le lui crie quotidiennement sa compagne Mireille.

Même si Milo partage sa vie depuis plusieurs années avec elle, même si ensemble ils ont des enfants, c’est vers un gouffre sans fond que l’auteur choisit de diriger leur relation, mélange explosif de passion et de détestation. Alors qu’il ne peut s’empêcher de coucher avec d’autres femmes, Milo ne souhaite pas se séparer de Mireille car elle constitue l’unique repère stable de sa vie.

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Milo est atteint d’albinisme – même si il me plaît de penser qu’il pourrait aussi être un métisse, comme l’était l’écrivain Williams Sassine qui s’est beaucoup inspiré de sa propre vie pour rédiger ce roman. Le reflet de son image dans le regard des autres et celui de la société le répugne. Il n’est ni noir, ni blanc. Jaune peut-être. Pas sûr. Il est persuadé qu’il est un déchet de la société. Il suscite la peur et l’écœurement.

Alors il choisit, pour étouffer ses souffrances, de se concentrer sur ce qu’il sait faire de mieux : boire de l’alcool, et surtout donner du plaisir aux femmes, comme le lui a appris son « père » quand il était petit. Depuis, Milo ne s’en prive pas et collectionne les conquêtes. Jeunes, vieilles, maigres, mariées, mères de famille, religieuses, peu importe, il n’en a que faire de leurs statuts. Dans n’importe quel lit, il les veut toutes!
Jusqu’à ce lundi soir où, au cours d’une sortie arrosée dans un bar avec quelques amis, il fait la connaissance de Rama.

Rama, femme noire à l’esprit vif, belle de cœur et de corps, mariée à Mr. Christian l’homme blanc, et dont Milo va s’amouracher en un rien de temps. Rama, au corps vibrant de plaisir, innocente coquine, à qui il dira « Je t’aime » sans compter. Rama, passionnée et passionnante, qui le conduira peut-être, à faire la paix avec ses vieux démons.

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Si il est vrai que ce roman présente le mal-être dont souffrent les albinos dans une société africaine qui a encore beaucoup à apprendre sur cette anomalie génétique et héréditaire, il touche également au besoin profond que ressent chacun d’entre nous de trouver sa place dans la communauté et dans le monde. L’auteur, Williams Sassine, qui était de père libanais et de mère guinéenne, a lui-même souffert de cette difficulté à affirmer son identité issue de cette double culture. Une fragilité qu’il expose à son lectorat à travers un personnage certes extrême dans ces plaisirs ambigus mais profondément touchant dans sa quête criante de soi.

Combien de fois n’ai-je pas moi-même eu à me poser ce type de questions existentielles? Qui suis-je vraiment en tant que métisse? En tant que femme? En tant qu’adulte? A quelle communauté appartiens-je? Quelle est la couleur de ma peau quand je ne suis ni blanche ni noire? La solitude et l’exil intérieur sont les compagnons de ce type de questionnements qui parfois mènent certains à l’agonie psychologique.

En fin de compte, ne sommes-nous tous pas un peu albinos quelque part dans notre essence? Des êtres en simple quête d’amour et d’acceptation de notre nature véritable? Lorsque certains soirs nous posons la tête sur notre oreiller et nous demandons si l’amour est véritablement au rendez-vous, si nous sommes appréciés pour ce que nous sommes profondément et non pour le rôle que nous incarnons si bien, ou pour le costume que nous portons à la perfection? Ne sommes-nous pas aussi un peu de ce magnifique être à la peau jaune qui craint le soleil et préfère l’ombre de la nuit?

Tout un ensemble de questions que l’on pourrait résumer en un simple « Qui suis-je? ». Une ode à l’identité que nous invite à chanter l’auteur avec cet ouvrage qui, à sa manière, célèbre l’amour et la différence.

Mémoire d’une peau, de Williams Sassine. Un livre délicieusement vif que je vous recommande sans modération.

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Afin de poursuivre dans le sens de l’albinisme, je vous recommande cette vidéo sur les enfants albinos en Tanzanie. S’informer et informer les autres est un devoir individuel et collectif.

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Je suis Manouchka. Sur ce blog, je partage mes lectures, mes pensées, mes écrits. Vos retours enrichissent le débat, n’hésitez donc pas à me laisser vos commentaires et vos avis. Et par dessous tout, merci de me lire !
A bientôt !

Une histoire de coïncidences, ou La Prophétie des Andes de James Redfield

Je me souviens du sujet relatif à la première ‘vraie’ décision que j’ai eu à prendre dans la vie : mes études universitaires.

J’avais 17 ans. Toutes les décisions que j’avais pu prendre avant cet instant m’avaient soudainement paru légères et insignifiantes. A l’époque, je savais juste que je ne voulais étudier ni la médecine ni le droit et que je souhaitais aller dans une petite ville côtière où le soleil brillerait plus souvent qu’il ne pleuvrait (je ne m’imaginais pas vivre dans un endroit où il me serait inenvisageable de voir la mer!). J’ai alors fait un choix et la vie m’a conduite à Montpellier pour quelques mémorables années.

« Ce n’est pas facile d’être adulte! » avons-nous coutume de dire avec mes proches en nous taquinant car prendre une décision importante, parfois lourde de conséquences, peut parfois faire très peur. Qu’il s’agisse de monter sa propre entreprise ou de conserver son emploi, de privilégier un investissement A ou un investissement B, de rester en couple ou de se séparer, ou encore de choisir un traitement médical, il arrive qu’on doive y réfléchir à plusieurs reprises. Sans compter le stress généralement engendré par la crainte de faire un mauvais choix.

Avec le temps, j’ai compris qu’il n’y avait pas de bonne ou de mauvaise décision. Ruth Chang, philosophe à l’Université Rutgers dans le New Jersey disait d’ailleurs à ce propos : « L’incapacité à prendre une décision vient de cette idée qu’il existe une bonne réponse, mais qu’on est trop bête pour la trouver« . Malheureusement, la course à la perfection qui régit la société actuelle nous retire trop souvent la tolérance que nous pouvons avoir vis-à-vis de nous-même en ce qui concerne les choix que nous faisons. Et je pense que si le résultat de nos prises de décisions pouvait être connu à l’avance, nombreux nous serions à dire oui à la possibilité d’en prendre connaissance.

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Prendre une décision éclairée avec confiance est un processus qui s’apprend et s’étudie, que ce soit sur le plan personnel ou professionnel. Les critères qui guident nos choix sont nombreux et pèsent plus ou moins lourdement dans la balance selon la personnalité de chacun et le type de décision à prendre. Nous pouvons considérer par exemple :
– la quête d’un résultat donné,
– l’étude des faits et la logique,
– la pression extérieure, sociale ou familiale par exemple,
– l’intérêt personnel ou celui d’autrui,
– les émotions, l’instinct et le ressenti.
Etc.

Le mécanisme de prise de décision est un sujet pour lequel j’ai un réel intérêt étant moi-même en perpétuel apprentissage de la vie. Et c’est donc avec beaucoup d’attention que j’ai lu La Prophétie des Andes de James Redfield. A travers l’histoire du héros qui effectue un long voyage au Pérou dans le but d’y découvrir un Manuscrit vieux de 2600 ans, l’auteur dévoile au fil des chapitres l’importance que nous devons accorder aux coïncidences du quotidien dans nos prises de décision. Pour lui, le hasard n’existe pas et tout ce qui se passe dans notre vie a pour objectif de nous enseigner une leçon, de nous mener à une destination précise pour le bien de l’humanité toute entière.

J’ai vraiment été sensible aux messages et conseils véhiculés par l’auteur sur la nécessité d’être à l’écoute de soi et de l’environnement. Il est bien vrai que pour beaucoup d’entre nous, nous vivons sans faire attention aux détails. La société actuelle a tendance à nous robotiser sans même que nous nous en rendions compte. Notre corps est présent mais notre esprit est ailleurs. Nous sommes surmenés par toutes les taches que nous devons accomplir au travail et à la maison. Nous devenons de moins en moins sensibles à la nature, aux éléments extérieurs, à ce qui nous entoure, en permanence centrés sur nous-même.

Non seulement ce livre nous invite à changer d’attitude pour nous ouvrir à la beauté du monde, mais il appelle également au questionnement. Les coïncidences porteuses de message, d’après l’auteur, surviennent lorsque nous posons une question précise à l’univers en rapport avec le cours de notre existence. Par exemple, dois-je continuer de travailler ou reprendre mes études?

A partir de cet instant, si nous sommes attentifs, il peut se produire un ou plusieurs évènements censés nous apporter les bonnes réponses. Encore faut-il pouvoir déceler ces messages! Ce à quoi va s’exercer le héros tout au long de son aventure en apprenant à manger moins de viande et beaucoup plus de légumes et de fruits afin d’augmenter sa sensibilité, en observant ses compagnons de route, en étudiant leurs comportements, en méditant, en appréciant la beauté et l’énergie de la nature qui l’entoure.

L’auteur, avec ce roman vendu à plus de 20 millions d’exemplaires dans 35 pays mêlant fiction et réalité, semble clairement s’inscrire dans la revendication du courant spirituel dit du New Age dont je vous invite à lire les caractéristiques ici sur Wikipédia.

En ce qui me concerne, l’objectif a été pour moi, en suivant le héros dans son périple, de comprendre dans quelle mesure le Manuscrit recherché révélait la possibilité d’un changement imminent de notre humanité grâce à la prise de conscience individuelle et collective. Dans son livre, James Redfield écrit qu’un changement capital s’effectue au début de chaque nouveau millénaire. Evidemment, je n’ai pas pu m’empêcher de faire l’analogie avec l’épisode du Covid-19 que nous vivons actuellement! Du fait de ce virus, la majorité des individus peuplant notre planète a été appelée à être confinée et à revoir son mode de vie et de consommation. Mais aussi à remettre en question son système de pensée.

Je pense que beaucoup n’auront pas peur d’affirmer que la crise du Coronavirus se produisant en 2020 n’est absolument pas le fruit du hasard. Pour certains, il s’agirait même du fruit de certaines coïncidences comme l’indique par exemple cet article présentant une sélection de livres qui auraient prédit la pandémie. Personnellement, je n’y crois pas mais étant donné le fait que nous sommes au tout début du troisième millénaire et plus précisément en 2020 (« Twenty-Twenty » une succession de deux nombres identiques) et que la planète traverse une crise environnementale sans précédant, il y a effectivement de quoi parfois se poser quelques questions.

Ce qui est toutefois certain, c’est que le Covid-19 m’a fait réaliser que nous avions la possibilité de réduire la pollution si nous le décidions. Pendant de longues années, il ne s’est tenu que colloques sur colloques au sujet de l’environnement, sans que, à mon humble appréciation, aucune action durable et concrète ne soit prise par les dirigeants du monde.

Aujourd’hui, force est de constater que la planète respire mieux (1) ! (Reste à savoir jusqu’à quand?!). Et nous sommes tous témoins du fait que la nature et les êtres humains ne peuvent être dissociés. Il est indispensable de repenser nos habitudes, pour permettre la poursuite de notre aventure sur la planète sans pour autant continuer à l’abîmer et la détruire. A nous de savoir déduire les leçons de ce que nous vivons aujourd’hui pour le bien des générations futures, et d’agir, de décider ce qu’il y a de mieux (2), comme le sous-entend clairement le Manuscrit de La Prophétie des Andes.

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Il y a tout de même certains points qui quelque peu ralenti mon entrain à la lecture.

Sur la forme, j’ai trouvé la narration souvent longue et très fournie en descriptions, ce qui rendait par moment entrecoupait le rythme de la narration. Sûrement devrais-je essayer de lire la version originale en anglais. D’ailleurs, sur Instagram, je disais il y a quelques temps mon désir de m’exercer à désormais lire aussi des ouvrages rédigés dans la langue de Shakespeare, et ce livre me convainc de la nécessité de me lancer dans cette aventure. Aussi, en les comparant aux autres, les deux derniers chapitres m’ont paru moins simples à appréhender.

Toutefois, il n’en demeure pas moins qu’il s’agisse de détails auxquels chacun peut être sensible de manière différente. Ils n’en retirent rien aux connaissances que j’ai pu avoir à la lecture de l’ouvrage.

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Pour revenir à la thématique des coïncidences, je ne suis pas de celles et ceux qui estiment que tout évènement de notre vie se doit de forcément comporter un message. Everything does not happen for a reason. Je n’étais pas donc toujours en accord avec la pensée de l’auteur et avec l’attitude que pouvait adopter son héros face aux évènements de sa vie et à son interprétation abusée voire abusive des coïncidences. Certaines choses arrivent, et puis c’est tout. Je ne suis pas du genre à recevoir un appel téléphonique et à me dire qu’il avait forcément un sens. Ou encore à croiser une vieille amie à trois reprises en deux semaines et à y déceler un message codé. J’aime aussi par moment me laisser vivre et accepter d’être portée par le cours des évènements, tout simplement.

La vie est une aventure. Avec elle vient son lot de surprises, bonnes et mauvaises. Nous pouvons en contrôler certains aspects, et d’autres beaucoup moins voire pas du tout. Il arrivera que nous nous poserons des questions sur certains éléments décisifs de notre vie, sans jamais avoir de réponses à travers les faits rencontrés ou observés. Devra-t-on à ce moment là se sentir perdu? Abandonné de l’univers? Défaitiste? Je ne le crois pas. Parfois les réponses se trouvent simplement en nous-mêmes, et ce à quoi nous devons aussi nous exercer, c’est faire confiance à notre intuition et apprendre tout simplement à être dans l’acceptation (3).

Coïncidences ou pas, il nous faudra toujours continuer à avancer et à tracer notre chemin du mieux que nous le pourrons.

Avant de clore ce billet, je vous propose une vidéo très intéressante sur la civilisation maya que l’ouvrage m’a amenée à découvrir à travers le périple du héros. Toute la culture précolombienne d’ailleurs en vaut le détour!

Ainsi qu’une compilation des 10 coïncidences les plus étranges relevées par l’histoire :

Pour revenir à mes études à Montpellier, je pense tout compte fait et admets qu’aller y étudier était effectivement loin d’être le fruit du hasard. Car là-bas, j’ai obtenu mon diplôme, découvert une famille dont j’ignorais l’existence, connu des personnes qui jusqu’à ce jour font partie de ma vie et m’apportent comme jamais je ne l’aurais imaginé.

Notre histoire, quoi que disent ou pensent les autres, nous appartient ; à nous de la construire et de lui apporter des couleurs en fonction de la palette dont nous disposerons.

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(1) En images : la Terre respire mieux depuis le début des confinements
(2) Lecture proposée : L’Après Covid 19, ne plus séparer santé et environnement
(3) Lecture proposée : Cinq conseils pour prendre la bonne décision au bon moment

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A contre-courant, ou Sula de Toni Morrison

Ce n’est pas parce qu’une majorité de personnes approuve une idée que celle-ci est vraie.

Avez-vous déjà entendu parler de la théorie selon laquelle les chiens ne seraient capables de voir qu’en noir et blanc? J’ai moi aussi longtemps tenu ce discours. Tout le monde le disait depuis toujours autour de moi. Y compris mon vétérinaire. Et je l’ai naturellement intégré comme étant une évidence. Sauf que ça n’est pas vrai ! Selon des études scientifiques, nos amis les chiens peuvent distinguer le jaune et le bleu avec précision. Le rouge, un peu moins. Mais ils ne voient absolument pas qu’en noir et blanc. C’est donc une idée reçue ; bien qu’elle soit pensée par une majorité de personnes, elle n’est pas vraie.

Lorsqu’on a de bons arguments, il est assez simple de remettre en question une idée reçue.
Pour ce qui est des normes et des codes de la société, l’expérience s’avère être un peu plus complexe.

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L’anticonformisme est défini comme une attitude d’opposition voire d’hostilité aux normes et usages établis dans une société. A l’ère actuelle du numérique, ne pas posséder un smartphone ou ne pas être inscrit sur Instagram par choix peut être considéré par certains comme un acte anticonformiste. Généralement, ce refus de s’inscrire dans la ‘normalité’ entraîne un rejet plus ou moins violent de l’individu concerné ; on le traite de marginal, d’anormal, voire de fou. André Gide, écrivain français du XXe siècle disait d’ailleurs à ce propos : « Toute pensée non conforme est suspecte. » En prenant toujours notre exemple dans un contexte d’ère numérique, même en s’appuyant sur une ribambelle d’études scientifiques au sujet des dangers de la lumière bleue sur les yeux, une personne qui choisit de ne pas utiliser un smartphone est toujours vue d’un « mauvais œil » par les masses. Imaginez que vous fassiez le choix éclairé d’utiliser un Nokia 3310 alors que la majorité se jette sur le Samsung S20 ; « Mais qui est donc ce has been? » se demanderont-ils.

Autant qu’ils suscitent le rejet, les anticonformistes peuvent aussi forcer l’admiration. Nager à contre-courant, avoir le courage de trancher avec les masses et avec ce qui se fait habituellement pour assumer sa différence n’est pas donné à tous. Connaissez-vous beaucoup de personnes qui osent revendiquer une certaine originalité sans crainte de subir de représailles? Personnellement je n’en connais pas beaucoup, et je dois admettre que je suis toujours admirative et respectueuse de ces forces de caractère.

C’est avec une véritable fascination à l’esprit que je me souviens avoir lu les romans « L’amour dure trois ans » et « 99 Francs » de Frederic Beigbeder. Cet auteur et critique littéraire défraye la chronique pour ses idées rebelles et anticonformistes. D’ailleurs, son roman « 99 Francs » publié en 2000, dans lequel il dénonce les abus du monde publicitaire, lui avait coûté son emploi. Il a également eu à s’ériger contre l’humour dans son roman « L’homme qui pleure de rire » ; alors que tout le monde affirme que rire est bon pour la santé, Beigbeder choque en déclarant : « Quand l’humour devient la norme, c’est qu’on est complètement paumés. ». Encore aujourd’hui, l’auteur se fiche d’avoir l’air sympa ou de plaire. Ce qui compte pour lui, c’est de pouvoir exprimer ses opinions, d’autant plus qu’elles sont dérangeantes et ne plaisent pas forcément à tout le monde !

Pour d’autres, l’anticonformiste est aussi celui dont on doit se méfier, que l’on doit exclure et qui suscite même de l’hostilité. Prenons l’exemple des locksés. Certes, porter des locks aujourd’hui n’est plus vraiment exceptionnel, mais cette coiffure rencontre encore beaucoup de résistance sous nos cieux, principalement au sein des milieux professionnels qui considèrent que ce n’est pas une coiffure « propre ». Certains continuent toujours d’assimiler systématiquement les locks à la drogue! Heureusement j’ai envie de dire, ce genre de stéréotypes et d’idées arrêtées n’empêche pas certaines personnes de porter fièrement leur magnifique chevelure locksée, affirmant ainsi leur originalité et leur refus de penser comme les autres.

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Avec son roman Sula, Toni Morisson met brillamment à jour cette thématique de l’anticonformisme, à travers des personnages dont la réalité est en décalage avec les conventions et la société patriarcale dans lesquelles ils évoluent. Des personnages féminins forts et puissants qui s’approprient chacun une facette de l’histoire et qui expriment avec une violence particulière leurs conceptions de la vie. Je ne vais pas vous le cacher : Sula m’a profondément touchée. Cette femme noire, en quête de liberté, qui refuse de se marier comme l’a fait sa meilleure amie Nel et qui revendique son droit à disposer de son corps et de jouir de sa sexualité. Aux yeux de sa communauté, elle est une traînée, une fille aux mœurs légères, une mauvaise fréquentation, un porte-malheur.

Mais Sula n’en a que faire. Elle refuse d’être docile, elle ne veut pas répondre à l’injonction « Sois belle et tais-toi ». Quitte à être rejetée de tous et à finir seule, elle préfère de loin sa liberté. Elle veut faire ses choix, être indépendante et prendre le contrôle de sa vie. Contrairement à toutes les autres femmes qui, comme Nel, sont de bonnes épouses, de bonnes mères, comme le leur demande les valeurs établies de la communauté.

Dans ce roman, Sula m’a captivée. Littéralement. Je vous le disais plus haut, parfois l’anticonformiste fascine et appelle à la curiosité. Sula est un personnage que j’ai trouvé à la fois attachant et dérangeant. Comme c’est le cas pour chacun d’entre nous, sa vie est faite d’expériences humaines, elle a des ambitions et des rêves. Elle vit également l’amour mais toujours à sa manière, et ses choix de vie parfois contraires à l’éthique invitent à une remise en question de l’idéologie dominante au sein d’une communauté.

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Trop souvent, nous avançons dans nos vies avec des œillères. Beaucoup de règles de vie nous sont léguées de génération en génération sans aucune explication en ce qui concerne leurs bien-fondés. Combien sommes-nous à pouvoir expliquer par exemple la pertinence du mariage? Et pourtant, beaucoup dans nos sociétés africaines se font lyncher en choisissant de ne pas sceller d’alliance par le biais du bon vieux mariage traditionnel. Les choses ont toujours été comme ça, nous dit-on. Arrête de poser des questions, nous sermonne-t-on. Dans une communauté où les parents attendent que nous ayons des enfants pour enfin prononcer la réussite de nos vies, comment serait accueillie une sœur ou une amie qui revendique le fait de ne pas vouloir donner la vie? Sans nul doute à coup de cris et d’offuscations.

Il va sans dire que nous sommes dans une société forte en conditionnement. Et pour bousculer les habitudes, il est selon moi indispensable d’avoir dans nos rangs des anticonformistes. Des personnes qui osent réfléchir et penser autrement. Pas pour porter atteinte à autrui ou être néfaste à la communauté. Mais plutôt pour appeler à la réflexion utile et à parfois l’indispensable remise en question. Les êtres profondément atypiques, de mon point de vue, sont en mesure de faire évoluer les foules vers de véritables prises de conscience. C’est aussi à cela que doit servir l’anticonformisme, à sortir de cette attitude moutonnière qui facilite le contrôle des masses.

N’ayons pas peur de prendre les enfants en exemple. « Pourquoi ci? », « Pourquoi ça? ». Ils sont curieux de tout et anticonformistes à leur façon. Comme eux, c’est en posant des questions, en étant curieux de la vie, que l’on finit par trouver des réponses et redéfinir si besoin nos systèmes de pensées.

Frappe-toi le coeur, de Amélie Nothomb

 

Frappe-toi le cœur, c’est là qu’est le génie.
Alfred de Musset

Ce livre ne compte que 156 pages, avec des textes écrits en caractères de taille plutôt moyenne. Autrement dit, il se lit très rapidement, et assez facilement. Il est accessible à tous.

C’est l’histoire de Diane, mal aimée et jalousée par sa mère dès sa naissance. Que se passe-t-il dans le cœur d’une enfant en carence d’amour maternel? Comment grandit-elle? Dans quelles conditions se construit-elle? A quels piliers se raccroche-t-elle?

Ce récit est d’autant plus intéressant que le narrateur arrive à raconter le ressenti de Diane dès son petit âge. A deux ans déjà, elle exprime sa douleur, dit sa peine face à une mère qui ne la câline jamais elle, mais qui tolère son petite frère parce qu’il est sans doute un garçon, qui étouffe d’amour sa petite sœur, la dernière née de la famille.

Amélie Nothomb est une femme que j’admire énormément. Je la trouve cultivée, enrichissante, différente, unique. J’ai toujours pris grand plaisir à regarder sur YouTube des vidéos de ses interviews, de ses partages et conseils littéraires. Dans une de ses interventions, elle a affirmé avec beaucoup de sérieux se souvenir de la période où elle était encore dans le ventre de sa mère. Elle semble avoir doté Diane dans son roman de cette faculté. Un roman qui mêle fiction et  autobiographie? Pourquoi pas. Une œuvre cela dit, très intéressante qui met en avant la psychologie des personnages et amène à la réflexion sur une thématique parfois tabou : le lien mère-fille bancal voire destructeur.

Un roman que je recommande !

Extrait :

Diane vit à nouveau que sa mère ne mentait pas. A l’université et à l’hôpital, elle avait déjà pu observer l’effarante capacité d’oubli des gens : ils oubliaient ce qui ne les arrangeait pas, ou plutôt, ils oubliaient quand cela les arrangeait, c’est-à-dire très souvent.

Xx,
Manouchka.